Pour un communisme libertaire
Le projet de société que nous proposons s’appuie sur les expériences
concrètes des travailleurs et des peuples révolutionnaires : communes
libres, conseils ouvriers, fédérations,
syndicalisme révolutionnaire.
Nous nommons ce projet communisme libertaire, non par référence au courant « communiste » marxiste-léniniste, mais dans la continuité d’un courant plus ancien et plus large, antiautoritaire, syndicaliste, conseilliste.
« Communisme » : une société fondée sur la
mise en commun des moyens de production, sans appropriation privée ou
privative, centralisée, c’est-à-dire sans
classe et sans État.
« Libertaire » : une société qui a pour objectif et pour condition l’émancipation de la société, des travailleurs et des individus, qui passe par l’égalité économique et la démocratie de bas en haut de la production et de toute la société.
Le communisme libertaire est le projet d’une société en évolution, animée par un processus révolutionnaire permanent, qui étend progressivement la société nouvelle sur toute la surface terrestre, et qui gagne et intègre peu à peu toute la population.
Nous indiquons ici quelques grands axes de ce projet, tel que nous
pouvons le concevoir pour la première phase de construction,
c’est-à-dire alors que toute la population n’a pas encore été
gagnée, que la révolution a encore de nombreux ennemis à l’intérieur
et à l’extérieur, et qu’il faut faire avec l’héritage technologique
tout en commençant immédiatement à le transformer.
Des rapports de production autogestionnaires
Par socialisation des moyens de production nous n’entendons pas
concentration de ceux-ci aux mains de l’État mais possession collective
par l’ensemble de la société, autogestion de la production
dans sa globalité, et autogestion de chaque unité par ceux qui s’y
emploient.
Par autogestion nous entendons pouvoir de décision collectif des assemblées de travailleurs, avec liberté totale d’expression et votes démocratiques. L’autogestion abolit les rapports de production capitalistes dirigeants/dirigés, avec l’organisation hiérarchisée et parcellisée du travail qu’ils impliquent. Dans l’autogestion les responsables, coordonnateurs, délégués, sont élus par les assemblées de base ; ils peuvent être révoqués par elles à tout moment, et ils sont soumis à la direction collective de la base, tenus d’appliquer les grands choix, les mandats impératifs adoptés et régulièrement renouvelés par les assemblées de base et les conseils locaux.
Le renversement des rapports de production repose sur une transformation radicale de la nature du travail. Les fonctions manuelles et intellectuelles, séparées par le capitalisme, sont réunifiées : chaque travailleur participe à la conception et à la décision, il est décideur pour la production et pour la société. Son temps de travail incorpore ces tâches de décideurs (y compris sur les questions « politiques » concernant la région, la société), les tâches d’exécution, et un temps très étendu de formation continue. Le temps n’est plus soumis à la division héritée du capitalisme entre travail parcellisé et loisir. Dans le cours de sa vie, le travailleur alterne participation à la production collective et participation à la vie sociale comme autant de formes de son épanouissement.
Cette transformation du travail, sa désaliénation, est le noyau central d’un profond processus de transformation remodelant radicalement le tissu productif et les technologies. Celles-ci devront s’adapter à ce nouveau mode de production et aux nouveaux critères de la société, ouvrant une période d’innovations et de renouvellement.
La production échappe aux impératifs des profits. Ce sont les besoins humains qui deviennent déterminants. Ces besoins ne sont pas et ne seront jamais « objectifs » : ils répondent à des données culturelles, à des aspirations personnelles, mais aussi à ce que la production propose. Il y a donc une grande diversité de besoins qui appellent un système forcément complexe de détermination des impératifs de production. Deux mécanismes parallèles nous paraissent pouvoir être mis en place. L’un de planification et de coordination générale autogérée, qui centralise les besoins recensés dans les communes et les régions, les unités et les fédérations de production. Cette planification assure la mise en œuvre collective des grandes transformations. Et elle garantit à tous la satisfaction des besoins fondamentaux, de façon libre, gratuite, solidaire : logement, santé, formation, nourritures de base… L’autre mécanisme recouvrirait l’intervention spontanée des individus et des communautés de base s’exprimant dans un marché libéré des contraintes de l’économie marchande mais permettant l’accès libre de chacun aux produits et aux services de son choix.
Une Démocratie fédéraliste et autogestionnaire
La Démocratie fédéraliste autogestionnaire repose sur les Assemblées
de base des travailleurs et sur les communes. Elle structure la société
à partir des régions, afin de créer des espaces de
pouvoir collectif directement contrôlables par la population. Ces
espaces régionaux autogérés ne reproduiront pas nécessairement le
découpage des actuelles régions administratives. Elle vise à la
fédération internationale des régions, à vocation universelle. Elle
se donne des règles communes autogestionnaires, intégrant les droits
acquis par l’appropriation collective des moyens de
production. Ces droits et ces règles s’imposent à toutes les
régions, garantissant la protection de chaque individu et de chaque
communauté. Au-delà, la plus grande autonomie s’exprime à la base,
dans les communes, dans les régions fédérées.
Le fédéralisme est une forme d’organisation et de
centralisation/décentralisation qui permet d’éviter l’écueil du
centralisme bureaucratique et celui d’une atomisation de la société.
C’est
l’équilibre entre l’initiative et l’autonomie des unités fédérées,
et la solidarité entre toutes : une interdépendance sans hiérarchie, où
les choix collectifs sur les questions communes
sont prises et appliquées par tous. Le fédéralisme implique une
conception ouverte, dialectique, de la société comme lieu où on peut
tendre à équilibrer le champ du général et celui du
particulier, mais sans jamais pouvoir réduire l’un à l’autre.
Le fédéralisme conduit à une structuration stabilisée de la société.
La coordination de la production est assurée par des fédérations par
branches. Chaque région fédère les communes et les unités
de travail. Les régions forment une fédération internationale avec
une large part d’autonomie. Chaque fédération est coordonnée par un
conseil très large de représentants de la base, formé d’élus
directs étroitement contrôlés et en lien avec leur mandants. Chaque
fédération nomme des responsables soumis à la direction de la base.
Les conseils des fédérations régionales, professionnelles, etc. ont
donc à charge de centraliser le pouvoir de la base, non pas en
l’exerçant en son nom mais en organisant le débat démocratique.
En assurant des consultations régulières de toute la population
concernée s’exprimant depuis la base et tranchant entre les diverses
options dégagées. Le conseil de la fédération est ensuite tenu
d’exécuter les décisions démocratiques. Ces consultations se
réservent aux grandes questions, aux grands choix, tandis qu’une très
large part d’initiative est assurée aux unités fédérées.
Le mandat de la base n’est pas livré au seul moment de l’élection
des délégués ou des responsables, et au vu des promesses des candidats
ou des programmes de leurs organisations éventuelles. Le
mandat impératif est donné sur un contenu décidé par la base et
renouvelé régulièrement. La démocratie du bas vers le haut représente
une forme radicalement nouvelle de pouvoir collectif, en
rupture avec la division dirigeants/dirigés, gouvernants/gouvernés,
la coupure entre l’État et la société de tous les systèmes de classe.
Chaque « citoyen-travailleur » étant associé à
ce pouvoir, le gouvernement est descendu dans l’atelier et dans la
commune : c’est l’autogouvernement de la société, qui répond
naturellement à l’autogestion de la production.
Les différences entre État parlementaire et fédération
autogestionnaire sont radicales. Renversement du pôle du pouvoir, les
instances de coordination centrales étant placées sous la direction de
la base. Élection démocratique des délégués et responsables,
délégation de tâches pour la coordination et les décisions courantes,
mais refus de la délégation du pouvoir sur les grandes
décisions, et donc démocratie directe. Les partis perdent leur rôle
de vecteurs du débat et de force de direction de la société : les
formations politiques peuvent s’exprimer librement et
nourrir le débat démocratique, mais les délégués sont mandatés par
la base et non par les partis.
La démocratie autogestionnaire implique la liberté absolue
d’expression et d’organisation, la liberté du culte, la liberté totale
de la presse.
Enfin la nécessité de défendre la nouvelle société de ses ennemis
intérieurs et extérieurs, tout comme une persistance de la délinquance -
en tout cas dans cette première phase - ainsi que des
comportements et actes racistes ou sexistes, entraînent la nécessité
d’un droit, d’une justice organisée, et de formes d’autodéfense
militaire. Mais il s’agit bien de détruire les organismes
répressifs de l’ancienne société et de mettre sur pied des
structures étroitement contrôlées par la population et les conseils. Les
risques de militarisation ou d’ordre policier sont évidents
dans une période révolutionnaire et exigent une vigilance aiguë,
avec en finalité une société complètement démilitarisée et dépolicée.